les îles | 4

« D’un port oublié, quand le cartographe meurt sous le vent sans généalogie. »
Christian Gabrielle Guez Ricord


prolonger par un nouveau texte : terre chaude, terre froide

Un impératif, un appel.

Un coup d’oeil.

Tombé de l’image, du front, des rampes de tête, hors champ : l’écran blanc. Comme on dit l’encéphalogramme, dans la neige où ça souffle, plat, ad nauseam. Gauche, oculaire à guillotine : gris cisaillés net. Tête par intermittence, tout en plaques sensibles détaillées au hachoir : maigre soufflet en immersion, mitraillage de grésil. Flou. L’intermittence est incessante.

Grain de peau de papier : raturer le torchis, gratter le pierreux, peler le sec. Effacer, réécrire. Tirer le portrait. Épreuve du vieillir rude : agrandir les bougés, les éclairs, les petites révoltes, les vifs du temps de pose : là où ça parle, se plaint.

Panoramique souffreteux et sa ligne d’instabilité : émergent à l’horizon, sur les modelés âpres, ces beaux vernis noirs, pourtant, ces patines.

Le verre qui fourmille, l’injonction des néons, le crachotis des aiguilles : à boire au couteau cette lumière, dans les gravats à chromos, la photo-souvenir. Le froid. L’ophtalmie des neiges : résille rouge des mots traversant la douleur, sans un mot. La caféine y fait des îles.

Rompre tout et la roue, le fil, dehors : nos îles.

Combats de fleurs intenses, divans d’éclosions difficiles. Jeunes dans l’amour comme dans la guerre, nous y avions nos aises. Moins venteuses que dedans, nos Kerguelen. Leurs musiques d’un autre âge. Et toujours alertes et toujours dans la gêne, s’en vont aujourd’hui braconner la mémoire, battre les fourrés : des instantanés figés, ramenés morts par les oreilles. A ne plus savoir qu’en faire.

Montagne penchée sur le fusain immobile, tout baisse. Migraines cela parfois les petites coupures, les engelures du soir. La mauvaise heure. Ou les chapelets des Trinités comme osselets de la face : névralgie hauturière. S’autonomisent dans les passes des écueils tranchants, à bout de nerf. Dans l’assemblage, cet élément pluie, ses tensions sonores, oxydant des frontières déjà rongées de caries : l’intrusion dans le mot « partir » un peu plus nous accidente, le bois joue dans les épaules, les reins peinent, la membrure crie. Comme une mise aux fers.

Ici, la paix nous est égale aussi bien que le jour, ses lueurs, les ifs noirs : il ne m’appartient plus d’extraire bleue de la carrière la touche déliée, mer mordant le calcaire, regard dénudé de ses plans, ses perspectives. Il est tard, c’est marée de morte-eau, on diffère. Des crêtes d’os s’affinent dans le gris délicat de la matière : on verra au travers, bientôt. Les traces sont si légères. Je ne sais plus où j’aime, en quel lointain frappé d’oubli, et son désordre.

Sans résistance, les appontements se rendent à la mer : par tous les trous la bourre du désir s’échappe, les bras se replient, la poitrine se creuse comme l’eau. Les bords sont violents. Des cheveux de limaille filent vers le fond de l’impasse : les jeux sont faits. La fille d’enfance est saignée. Restent le fard et le crin, le bâton de rouge. Le plâtre.

Langue touille une saumure lourde, un soliloque d’élancement : phrase bulle dans le verre, nue et défaite. Ne fera plus surface. Où donc le son pur, celui qui pâturait les riches profondeurs, qui affûtait des larmes dans les entrailles des pierres ? Ombre, folie des feuilles. Ne plus avoir à s’en retourner : tout est là, devant. Danser l’aller simple jusqu’aux lisières.

Les réverbères ont eu raison de nos îles, ces tombolos qui bringuebalent roulés par les ans : mais le beau poli des roches, pourtant. Et les hauts murs qui éclairent la mer, à Monhegan Island, si extrêmement rétrécis sous la charge du vent. Pris dans la couleur on est coupé du monde, on va sans vis-à-vis, avec lenteur.

Des pleurnicheries bêlent sur des sols de ciment : on n’entend rien. Le sommeil plonge dans des bocaux d’éther et le ciel reste bleu, souriant.

Paysage raréfié où manquent les denrées premières. Un estran où battre les cartes, en forme d’éventail ou de levée de tempête : fermer les yeux, relever les arbres couchés à terre, arrondir l’épaule que s’y pose la tête. Mal. Inspir vitrifié dans les algues, alvéoles scellées. Tellement fatigué se dresser d’un grand vertige, à la pointe d’apparaître : engouffrer des visages, avant d’oublier.

Il y a des îles : Blackwell. Flannan, Boreray. Et Saint Kilda. Les dernières. L’orage y dramatise des seuils qui se déchirent : les éclats pénètrent le temps, l’ouvrent jusqu’au fond, en répandent la pacotille. Des îles avec des mots qui ont traversé l’écrire : derrière les baies closes de la langue, ils glissent comme des fluides nouveaux. Sourires errants sur des bouches lasses. Îles d’ersatz, de vestiges. De quitus, de balance. On compte.

Et toujours des questions, d’où l’on ne voit même plus la mer : cette année encore, les fêtes au Château ont-elles brisé des coeurs ?

Îles désormais, où les formes sont plus rassises. Les silences plus longs.

Iles secourables.

Éternité : lui accorder petit souffle, dans l’entrouverture qui bat.


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 10 février 2013
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