le monde à verse

« sans issue ainsi – et pourtant c’est sans doute l’essentiel – tout au fond – au loin – aller en reconnaissance de ce côté – s’il n’y avait pas la peur déjà – ou si ce n’était ça l’angoisse – peut-être », Danielle Collobert


prolonger par un nouveau texte : Insomnieuse nuit


dérive à chenaux multiples, tranchées solubles     crue modulée par les trous, ce pêle-mêle d’eaux rances, blocaille à nu, le gué sur l’écheveau des pertes : les seuils s’affaissent        prisme entaillé de bleu dans le caniveau, le bleu électrique        le bleu seul        à courir le rayon cassé non de froid mais d’ordures : allure de course offensive ou frêle, fébrile, au Chemin Vert, la nuit

hôtel avec mur de bruits, rythmes au-dessous déchirés de bleus, de bleus obliques, et être ainsi gisant, secoué contre le papier de créatures et d’éphémères        leurs voix        du talon sur les plumes, la paille, les déjections, glapissant           leurs cendres mobilières en amont d’un rêve par ailleurs dispersé        rien de ténèbres complètes mais rouge, le mot rouge, le rai rougi sous la porte, clignotant

escalier foulé pesant : du puits le bleu qui monte, le bleu seul, électrique        fêtards ou tristes, alanguis du pas qui triche à la croisée sur cour de sirènes floues, moroses, intermittentes du crissement : résilles, mégots et rosaires d’un mot l’autre monnayés, explosifs        quand la tête pourtant, en d’autres lieux, a rabattu le caquet à des glas bien pires : attaques d’os ou de faim ou de migraine, ou de langue, de pensées défectueuses avec arborisations réflexes, en d’autres lieu pourtant, en d’autres temps

rien qu’à son ombre, afflux laminoir d’un lendemain rouillé, rebattu, écorché du roncier Chapelle, perclus d’attente avec thé froid, squares bouclés, grilles à l’aplomb de poussettes où luisent enchaînés de petits quartz bien doux, le sommeil soudain les prend, ils envahissent la paix, le laps le blanc entre le gris des serpillères        dans un coin on défroisse au bistrot les jupes d’un polar, le patron est entier dans son poing, ses grimaces

l’effort du métro Barbès et le nez, la joue éclatés par-dessus les têtes : le sang est vrai, il n’y a pas de mots pour torcher ce qui jure, si surpris, sur la peau noire, au bâillon qui tourne les portillons éjectent, et la vie s’amenuise par à-coups

le parvis Beaubourg est coulé de tresses, l’attente est blonde : les filles élastiques l’emportent sur la gravité, on rit de robes pour télés défuntes, lointains factices aux maisons ruinées, prairies, bruit de repos à portée de souffle, même pauvre et en pente, petitement jardiné sous les combles moutonniers, la pluie plombant le transfert mécanique, vacillant

par terre, l’effort de l’enfant qui nage, immobile dessine l’eau de Hockney : combinatoires menaçantes, brûlis froid de perspectives inversées, coursives rentrantes, têtes baissées        la maçonnerie d’onglée s’écaille, bleu traître, palmiers raidis dans un été de plastique        la lumière est sans approche, non conviée, éternelle

chocs enfouis de bousculades, danses à principes et leur ralenti de salon        par les hautes vitres la brume, la mer du Nord dans un laçage de poutrelles et ces figures, décomposées, aux embrasures vert-de-gris : les corps sont nus, précis et stellaires, pris dans la masse et souffrant à des siècles d’ici

fibrillations, erreurs : on voit neiger à contre-voie les suraigus d’une chute, vue, revue, révisée à voix basse, petits vertiges, reculs, bifurcations et points d’étranglement, avec la foule du pont et l’extrême vide : étals en plein vent panneaux d’affichage        triage     fruits de saison        l’effort barbouillé du chemin quotidien quand au retour la nuit domine        prémonitions aux glissières mal jointes, non stabilisées

rails lancés dans le bleu d’éboulis, de rapt : la fuite est immense, le bleu seul, électrique        les bas-côtés vibrent d’îles létales, estafilades noires sur le courant : rudes abris pour la nuit et les mots gâchés de tout l’être inutile


   


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 19 octobre 2017
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