Vacance, avec mur

La vérité peut tomber de n’importe quelle bouche à n’importe quel moment
Franz Kafka


prolonger par un nouveau texte : éléments de l’onde

… juste savoir que mort, depuis toujours c’est fait, en secret parmi les arbres, les bouches qui appellent, c’est fini plus à faire, car vivre n’est jamais né, ne fut pensé jamais ni jamais désiré, c’est milieu avec bain, noyés, lames qui giclent des fenêtres, soie fripée des poignets, doigts blancs à quatre heures quand on coule, moi, qu’elle fuit, en sang dans le râle des bondes, elle, vers les ponts les balcons, les poumons qui sautent, écrasés sans air sous la vitrine d’eau, le ciel qui tombe avec tous ses mots sur ton dos quand tu goûtes de la langue, le trottoir de pluie à l’envers, tant de sang qui sépare la fille, tant de sang qui répare la terre, sur sa peau, ses veines attaquées au couteau, quand tu cherches du plat de la main, dans les couloirs les oiseaux qui suivaient ton vol depuis la fenêtre, le couchaient où ça grondait par le nez, par le trou dans le front, par l’entaille qui pulse des bulles, des flots, les caillots de sang de ces corps dans leur bain, arrivés par flottage un matin des étages, sur les seuils, les grèves les trottoirs, tous ces corps la fille dans le sien, tous ces corps dans la fille sans nerfs pour figurer la chose, la tracer dans la poussière, ni mots ni images, fille-toi expulsée, coupée de sa vie par ces corps, quand tu vois du bord les autres, tu dis la fille tout droit, partir ça me va maintenant, du pont avec bain et siphon de brocante, du balcon du toit d’ici ou de là ça me va, cette nuit ça me va, elle et moi la fille, son mourir dans le mien pour la vie, nos écorchés bien nus, bien collés l’un à l’autre, fatigués de grimper de sauter de tomber de la poutre du bord, l’escabeau trop haut, respirez la fille, ne respirez plus, sur l’eau se referment les portes, du trottoir on les voit monter, on se tait la fille, on dort, on cesse d’être, c’est fatigant, on ne te regarde plus

toujours pareil ça recommence, si j’aurais su j’aurais pas né pas venu, pas voulu pas glissé des cuisses dans la vie béante, j’aurais dit c’est non née qu’est ma vie, même pas morte jamais vue, non semée dans le sexe dans le ventre comblé non poussée, non pensée, sans nausées ni crampes, mais restée en deçà, ajournée dans le rien bien fermé sans fenêtre, j’aurais dit on va pas, là-bas on peut pas, y’a des pointes des dents, des crans des grumeaux, du vent sous les plinthes qui coulisse en lacets jusqu’au cou, on va pas ça craint c’est plein de morts dans les coins qui vous disent vis, tu verras c’est beau, c’est sain, et des vivants qui meurent, sans rire et sans parler, tous les matins à la même heure au saut du lit, et recommencent le lendemain, j’aurais dit y’a d’la joie, c’est vrai, mais pas sur le palier en attente où la vie de la fille a grandi, a forci entre deux portes avec les autres les morts, leurs vies dans les coins qui disent entends, v’la l’printemps derrière l’huis qui bruit, j’aurais dit pas pour moi, j’entends rien c’est trop loin, c’est rien que du bois, des planches des clous des échardes dans la main ces fleurs, ce printemps, ce qui va et vient, brille copule mange à sa faim, j’aurais su j’aurais pas né, pas vécu dans le ventre qui dit non, qui dit non vivons, les morts viables sont dignes de naître alors nourrissons, expulsons poussons, naissons la fille au monde que ça plaise ou non car la vie après tout c’est l’affaire des ventres, des ronds, des lourds pleins de chair et de sang comme nous, qui voulons, copulons décidons, j’aurais pu j’aurais dit pas de ça, plutôt pas, pas ici comme ça maintenant, sans notes, sans voix, nue en public pour la vie non merci, mourir ça va, morte tu sais où tu vas mais vivre c’est où, c’est par où qu’on y va, c’est où que tu vas par ce trou dans ce sang ce brouillard ce mur, cette chair à quatre heures, quand tout dort sauf toi ?

Extrait de Morte, in Ecrits de la cage, textes inédits


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 15 novembre 2009
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