En rêve

d’après les sources classiques, il y avait à Carthage d’immenses bibliothèques


prolonger par un nouveau texte : Dans la nuit qui nous guidait

sur le matin vers quatre heures, où la nuit humaine dégringole en elle-même lourdement jusqu’à ses racines, cet incorrigible rêve qui revient : des choses mécaniques, très minces et très rapides, qui patinent sur des surfaces lisses, excessivement sombres et brillantes – ce sont de hautes choses, des silhouettes – elles dissipent – elles dénudent à chaque passage le monde d’un peu plus de son sable – quelques grains échappés de ces plages sous le marbre – car il y a la mer par-dessus le bord du connaissable, il y a l’appel, la fluidité charnelle de l’eau, la verticalité bleue de sa parole, il y a des grottes où la mémoire neuve, incessamment creuse les ombres jusqu’à la disparition, le germe, l’écrire lumineux – l’apparaissant – déjà formé dans ses couleurs primaires, sa pâte de mots en deçà des mots – la mer à quatre heures du matin, ni plus ni moins que sa respiration – ses plages brutes, à perte de vue, sous la glace –

choses mécaniques font quelque chose au monde : elles l’effacent – font quelque chose du monde : ce grand aplat minéral où elles glissent, où règne l’éternellement achevé, l’empêché d’apparaître, gelé dans le corset de pierre, et donné là dans sa totalité : du visible poli, où il n’y a rien à voir que des points fuyant vers l’horizon vide

le rêve a des noms – aussi bien quand la tête, où le sang bat fort dans la tempe, refuse le réveil des grands arbres : leurs cime toujours, a raison de la peau fine tirée sur les veines folles – alors viennent des noms de ville, le nom de la ville qui les contient toutes – sur le noir du fleuve, verre et acier brossé mêlent tailles et découpes, et par vagues attaquent le pont ; des fissures jusqu’en rêve, allument des jours dans l’indifférence du béton qui abrite le monde – et l’éclair des jours, le bleu dense, perçant, fait alors le monde, à l’instant, se retourner d’une pièce – et violemment tout est là : le signe, les retrouvailles, la présence – rien ne respire, rien ne bouge et tout vit puissamment, tout avance sur la route profonde – et disparaît, hors l’écrire -

hors l’écrire qui est frêle, sans pesanteur : un éclat du monde vivant, ouvert, étonné, quand il nous a un instant, regardé dans les yeux – léger monte l’écrire, rien ne le rattrape ; la main peut-être, parfois, à quatre heures sur le front, quand le puzzle de la douleur s’ordonne par élancements, par à coups – la douleur, qui engendre cet espace d’os et de sang mis au saccage par les mots de l’écrire, les plus urgents, les vibrants, les pulsatiles –

et choses mécaniques chassées, tombent dans les discontinuités des lignes de suture : on n’entend plus que le rythme, chant de l’écrire clair, avec sa voix, qui s’instaure –

note dans le carnet de survie : seul se trouve le matin, démuni dans le calme d’un champ de ruines – seul, à trier des fleurs que hante un bleu dense, perçant – bleu régnant, signifiant les fleurs : tout y existe


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 octobre 2009
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