Nuit, avec sa voix

l’image n’est pas le réel : c’est un regard, avec sa nuit dedans


prolonger par un nouveau texte : Loire, mouvement deux

Pour accompagner New York, avec sa voix.

 

l’homme de main a giflé la parole, la plus crue jamais vue au jardin des simples : par son insistance même, elle énervait l’espace, donnant vie charnellement dans son carré de ronces, à des femmes-bouches absentes de têtes, sorties de pores épuisés travaillés au cure-dents

l’espace n’en peut mais : bourdonnant de prophéties à figure de corde, avec noeuds sans boucles aux points faibles du temps, ces femmes-bouches ont des voyances trop lucides pour des hommes de main myopes, issus de lignées obscures de phares et balises, bornes et plates-bandes nues, sols gelés à coeur et plafonds bas qu’un souffle décoiffe

à peine touchée, même pas morte, la parole avec autorité impose à l’espace qui renâcle, ses propres horizons esthétiques, réglés sur l’infini : les femmes-bouches se multiplient, hyperboliques fées construisant dans les limbes, une poétique sans frein toute de sexe ravi, d’aphrodisiaques matrices à fonctions gravides, contractées en rythme, accompagnant à la surface des trous noirs, l’effeuillage des corps célestes les plus beaux

durement l’espace roule, membrure et soutènement, charpente et muraillement jour et nuit pilonnés par les batteries salivaires : les femmes-bouches, fortes d’une victoire somme toute facile, érigent dans l’espace dompté les structures aériennes, limpides, de leurs cathédrales acoustiques ; la fureur sacrée de leurs extases et annonciations, chants érotiques, élégies et soupirs, poèmes de la fin, traverse à grand train, sans obstacle, l’univers violent

sans doute jusqu’au fond cosmologique, au feu du rayonnement fossile, où les dieux des hommes de main réchauffent- bien faiblement- les souvenirs d’une mort qui les oublie, et qu’ils ont pourtant, dans leur jeunesse, tant aimée, et tant servie

rien n’arrête les femmes-bouches ; il semble qu’aujourd’hui, enfouies dans la substance des miroirs, elles travaillent à éliminer les infinis indésirables qui troublent la surface, retiennent les échos : neuve, ruisselante de vigueur, inexprimable, la parole émergera, maîtresse de visions qui feront oublier au monde, toutes les choses vues


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 février 2009
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