
De moment en moment, je lance le plus loin. De la rue embrumée à l’histoire intestable. Du pain moisi au pain chantant – en dépit d’une terrible douleur au bras. Ensuite nous parlons, nous sommes deux.
René Char
d’abord,
de la nuit qui dort en moi
j’étudie le songe______ c’est ce que je crois : je le tente de toutes mes forces
c’est une épreuve – action figée – conduite au monde dans les régions faibles, à failles, hors toute représentation : juste couché bleu, ce personnage-ligne au menton qui tremble, artiste de l’expectative désossé par le doute, là-haut dans les cintres______ hésitation valsée sur la dentelle des corniches, s’ élance, vole______ puis le vol se confond avec la chute, par l’épiderme lacéré du sommeil qui ne retient plus rien – ni cintres, ni personnage
nous y sommes : enfin seule, éveillée
je garde la nuit
espace au cordeau, désencombré de murs et replié dans ses angles : c’est moi – ou fenêtre vide : je réfléchis du songe – c’est ce que je crois, encore
ça commence
ça fait un peu mal – partout – ce sont des mots – rassemblés dans un son : un craquement de chips – dans une forme unique : la nécessité – pourtant, on dirait des volatiles – des poussins
tournent et retournent : à petits coups de bec fatiguent la pâte, travaillent – nuit gonfle, se tend, et, à l’odeur, à l’instinct, s’origine au creux de l’aine, franche ouverte – nuit m’aspire, avec débordements – imprévue, cette liquéfaction de l’organique, le mien, où j’écope, difficile – tout pleut, tout mouille, mais le cercle de tête est encore lisse, le front étanche, les bras solides – aux genoux s’abouche une pleine figure de lèvres : ça bave tant, on ne voit plus qu’on a mal à la tête – mais nuit se refuse à jouer : elle contourne, évite, et le songe affleure : c’est un semis de rocs, irréductibles ______ le songe est pour les chiens
étudier quoi ? la texture des lieux fait question : une eau déchirée – qui promène l’espace, continue de porter – pour combien de temps ? tout cela primitif, dérangeant : revenu de l’achevé – étudier quoi ?
maintenant, la course est étroitement celée, je suis prise : cuisses remontées haut sur leur ligne d’attache, menton soudé à la poitrine – qui fait mal, jusque dans la gorge – somnambule, nuit avance, sillonne les hautes erres formant cet ensemble impossible : l’insomnie – je ne garde rien, je suis par terre : nuit, elle, monte encore, endormie – je suis dessous – coupant, un rebord de souffle entre dans les côtes – je ne veux pas – voudrais n’avoir jamais – je préfèrerais
____ au fait, pour les mots – nécessité les faisant, vers le sens, tendre leurs cous de poulets : où sont-ils ? ça m’occupe, avec ce froid
langue répond, la fouisseuse, bien membrée : on ne lui demande rien, on ne l’avait pas sonnée – ici même, dans le noir, elle assaille les mots, leur chair tendre et livide : on les entend piailler ______ où sont-ils ? mais là______ dans les joues, les sinus, le palais______ ça y est, on déchire avec les ongles
crier, d’un bloc, ça sort : inabordable proximité du sexe où nuit prend langue, celle qui troue, vagit avec une voix d’homme : on n’y parle pas, on y serre les dents – ça va passer, marchera tout seul vers sa solution – peut-être un cirque, étriqué dans un ravin, Écho beuglant pour des étoiles sporadiques : ça me distrait, quand j’ai mal – avec le froid, c’est la nuit qui fait mal – nul n’a de réponse, langue seule boit dans la plaie, langue fauve – appendice cru des traverses et fourrés – guette le mot, sa chair tendre, son bouquet, son craquement de chips ______ il n’y a pas de nuit prochaine, c’est toujours la même nuit ______ avec le mot, son cadavre, identité naufragée dans les rythmes, le brouillage de l’eau
______ ce qui fait mal, c’est violemment au-dehors, cette fente dressée, par la nuit retournée, extirpée de ses chairs (comme le mot)______ langue neuve bouffe, poursuit sa route, dans l’extrême tension de ses nerfs, de son dard – pour vider, pour broyer – lyriquement ouverte à tout ce qui saigne, ayant trou, ayant bouche de sexe ______ ça fait mal cette nuit, par déchirements______ la nuit, on n’étudie rien : nuit nous détricote, on désapprend tout ______ et alors c’est parti, ces longs lambeaux de chair que je m’arrache de la bouche, du palais, à deux mains______ ce bruit d’arrachement, saccadé
c’est énorme ce que je retire de ma bouche______ soulagée quand le dernier morceau me reste dans les mains______ mais ça repousse, un autre morceau, et lui aussi je dois l’arracher
bruit d’arrachement comme un gros tissus qu’on déchire, un gros paquet de feuilles de carton
____ déchirer, arracher, sachant qu’il n’y a pas de nuit prochaine, que c’est toujours la même ____le même mal – être perdue – à l’extrême du vertige – dans son propre corps ______ quelle forme à ce manque à être, que je suis, au creux toute vide, quelle forme, quelle marque ? nécessité, comme les mots qui ne sont plus ? nécessité ?
nuit naîtra les mots, puis me les donnera
seulement si sexe en suffisance est désirant de la mort
elle a dit
1ère mise en ligne et dernière modification le 27 décembre 2010
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