
Nous sommes au tout début, vois-tu,
Comme avant toute chose. Avec
Mille et un rêves derrière nous et
sans acte
R. M. Rilke
La mer ou autre
• sur Où s’arrête la terre : la lecture de Jean Prod’hom dans lesmarges.net ;
on ne se souvient pas — on est immobile, on ne demande rien — assis, bien droit, mains posées sur les cuisses — juste, on laisse venir, on laisse faire — puis les choses sortent de l’ombre, en rampant — s’approchent de plus en plus près — flairent les chevilles, longtemps, puis grimpent le long des jambes — envahissent le torse, les bras — elles sont légères, fluides, on les sent à peine –- quand elles touchent les lèvres, on ferme les yeux — ce sont des choses vives, impalpables — elles entrent dans la tête par les yeux, par les narines — elles font de la place, poussent tout dans un coin, elles s’installent — elles sont en pleine lumière, en avant — elles bougent, elles ont des couleurs, des odeurs fortes — elles sont familières, mais on les comprend mal — elles sont étranges — on est passif, figé, on est sans défense — on attend — on dit, ce sont des souvenirs — parfois, on leur donne un nom, une date — ça nous aide — on est sans respirer, avec ces choses, ces souvenirs — on ne sait pas ce qu’ils nous veulent
on part tôt, on dit qu’on va à l’école — on la dépasse, on marche, on a le temps — on descend bien plus bas, jusqu’à la voie de chemin de fer — il n’y a plus de maison, mais des friches, et de grandes fleurs mauves — elles poussent partout, comme les coquelicots — dans les craquelures du bitume, dans les carcasses de voiture, entre les rails, sur le ballast — ici, on est loin de tout, on pourrait se perdre — on pourrait disparaître — on voit ça dans le journal : sous un amas de pneus, les pieds nus d’un enfant — ne passent que de petits trains, rouges et blancs, qui s’arrêtent dans toutes les gares — ils vont vers la mer, les plages — les fleurs mauves sont poussiéreuses, on les secoue, la tête en bas, on fait un gros bouquet — on dit c’est la campagne — une campagne plus vraie que le pré, bien plus grande — écrasée de soleil, brûlée — au-delà de la voie ferrée, le tintamarre des camions vides, qui foncent vers les usines, ou les chantiers — on construit des cités, des immeubles, au bout des friches — les machines creusent des trous énormes, on coule du béton, on plante de longues tiges de fer — on aime les grues, au loin, ce sont des girafes — elles surveillent la savane — elles sont lentes et tranquilles, elles si grandes, elles voient la mer, les bateaux — parfois, des hommes travaillent, ils réparent la voie — la nuit, entre les pattes des girafes, des bêtes rôdent, des loups, des lions — avec des griffes, des couteaux — on se fait peur, on se dépêche — on repart vers l’école, les doigts sont crasseux, le visage en sueur, le souffle court — les pieds glissent dans les sandales, les vêtements collent — on offre le bouquet à la maîtresse — elle l’arrange dans un bocal de verre, le pose sur son bureau — on a aimé ça, la désobéissance, l’aventure
erratiques les choses, apparaissant, disparaissant — déconstruites, on ne sait où, par qui — découpées, suivant quelles lois — néanmoins on se sent à l’aise, le corps se cale dans la moindre parcelle, le plus petit éclat — mais ça ne dure pas, une seconde juste, un clin d’oeil — c’est fini déjà — une rue droite, avec des grues au bout, un quai de déchargement, un grand calme — tout part de là, et pourquoi
1ère mise en ligne et dernière modification le 14 février 2011
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