
"Je n’ai le goût de rien exprimer, si ce n’est ce noyau d’obscurité tenace qui est mon être même, ma substance morale et poétique."
Henri Thomas
naufragé des carnets dans son réduit de notes,
en milieu de paragraphe,
écrit sans que cela se voie,
écrit, naufragé : hors d’un usage professionnel de la langue – ne marchande pas –
ne troque, ni ne propose – ne montre pas –
ce soir : langue effacée, d’effacement, de réitération de l’absence des choses du monde
s’éteint là,
de plus en plus blanc,
le grouillement de ses petits dans ce berceau de névralgies –
sous le crâne entre parenthèses – rend quelque chose comme on dit rendre sa copie : se rend – à lui-même, naufragé que les carnets rattrapent toujours, son corset dégrafé au lève-ligne, son titre noyé dans la gouttière,
son souffle en hercule de foire enchaîné devant la foule déserte : il n’y a rien à voir de la personne –
vous ne verrez pas
sous le métal des presses,
avec des mots brisés – naufragé des autres êtres, de ce jeu mental de leur compréhension, leur approche – leur contact – naufragé du lien – des sentiments – au toucher rétractile, affolé
défait du tissu et du tressage, des coordonnées, de la rencontre – infirme de l’entregent et de l’affabilité – des échanges – malade du monde
seul avec son intime, son affamé – le grand dehors fuyant ses naturelles disgrâces : mutité de la face éperdument floue, tremblé du profil, hésitation du pas – regard fixe sur ce qui ne vient pas, s’ajourne sans cesse aux yeux des présents
naufragé des horloges : entre l’avant et l’après, hors saisie, introuvable
seul avec son intime, le plus bête, l’hébété, le continuellement surpris : qui repose au fond – de l’écrire – le mettre à dégorger – lourd paquet de viande, sur le carrelage froid – avec de l’air, des trous, des alvéoles – des grumeaux – éponge qui siffle, anhèle – c’est de l’écrire, et ça ne bouge pas – est déplacé par une force – tourné, retourné – de l’écrire à tailler, amputer, relire : ni approuvé, ni achevé, repart au froid, au réécrire – ses morgues, ses paillasses – ses tiroirs –
naufragé, ses carnets : c’est entre eux, c’est affaire d’hommes – rien ne transpire – les présents ont toujours tort : rien à lire, circulez, vous ne verrez pas la personne
ce soir,
sans rhétorique ni pitié pour les doigts, un peu de sang des carnets, vite trahi par l’encre,
cela d’avancer des mots vides : cet écrire autiste
à dessiner avec ses trous, en charpie
bouche des mots ouverte, affamée : naufragé de la bouche des mots
boire du sel sur l’île, cette lie amère,
doute que laisse, au papier, traîner la main de bâtons, ânonner –
le corps aimé,
les voix amies,
les espadrilles et la corde,
le maquillage des yeux dans leur bouchon de larmes,
sur la ligne la plus basse,
alors que bat aux tempes une marée de cris,
massicote à la hâte, formate pour l’encartage et la piqûre à plat
la rue,
et leur mémoire magnétique toute maculée de graisse
l’écrire refuse d’écrire,
bloque sur le gravier du front
vrille un néon noir à hauteur des yeux :
tête penche de lassitude,
encre du silence dans l’encrier scellé,
ce qui ne sera dit
dans aucune voix,
ne le sera jamais –
écrire écoute,
n’écrit plus –
la main repose, étrangère : fixe les yeux –
une mer sourit,
porté d’une lèvre l’autre par les plumes rectrices,
qui écoutent,
n’écrivent plus :
comme l’oiseau dans son active, savante, confiante méconnaissance du ciel,
décide seul
quelles seront les étoiles
qui lui dessineront un vol,
qui est non écrit
écouté
juste
1ère mise en ligne et dernière modification le 11 mai 2011
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