à la piscine municipale

« Non, non, quelqu’un n’est pas un lieu. Quelqu’un il lui manque un lieu. Il a besoin d’un lieu pour être. » Christophe Tarkos

travail en cours


prolonger par un nouveau texte : ici

le sac à la piscine municipale, l’appareil photo dedans, les objectifs le chargeur le mode d’emploi un peigne – même à la maison, un appareil photo, sans surveillance, cela n’est pas prudent – le carnet le miroir de poche dans le sac à main – avec les Bic l’argent le plan de la ville et le nettoyant optique – près de soi, à portée, sous le regard : les sacs, l’appareil photo – voilà en gros à la piscine, ce matin, avec les mouchoirs et les pansements – un livre, aussi – les anti-migraineux les clés de maison et les barrettes à cheveux – il fait beau, il fait chaud, c’est agréable, se baigner est de saison on y est autorisé mais pas vraiment encouragé par le maître nageur – se baigner d’accord, mais comment laisser sans surveillance le sac à main et le sac avec l’appareil photo, seuls avec ce monde, seuls dans ce monde sans surveillance de sacs, sur le bord, abandonnés, avec des choses dedans comme des objectifs, un appareil photo, des clés de maison, du lourd, du précieux – trop précieux en tout cas pour être laissés avec les vêtements, en bas dans la cabine – pensée de vêtements – dans la cabine, soudain – sans surveillance de vêtements, alors que les clés, les casiers, lumière : c’est cela, la surveillance des vêtements – dans une piscine publique, avec tout ce monde qui va et qui vient – seuls, les vêtements sur le banc, voilà qui n’est pas prudent – debout à la recherche des vêtements, avec les sacs : retour aux cabines savoir – toutes fermées, regard par dessous les portes : pas de vêtements est-ce possible, nulle part sur les bancs – un monde sans surveillance de vêtements – non, avec surveillance de vêtements : mais pour ceux qui les rangent dans les casiers fermant avec des clés accrochées aux bracelets de plastique rouge qu’ils attachent à leur poignet ou leur cheville et qu’ils perdent parfois dans l’eau de la piscine et qui coulent – clair comme de l’eau de piscine : pas de bracelet – donc pas de clé pas de casier pas de vêtements – plus de vêtements – pas d’affolement – la piscine est un lieu compliqué – avec des carreaux et des cris – pas un lieu accueillant – des arêtes vives, de l’écho – du verre, du béton – souvent trop blanc, éblouissant – de plus, ces corps fragiles, mous, sans vêtements, à la merci d’une glissade et d’un rebord où se fendre le crâne – dans ce monde sans protection des corps – nécessité de retrouver les vêtements – sans égarer les sacs – sans glisser sur le carrelage – d’ailleurs ils sont là : voilà des vêtements dans les vestiaires communs en tas dans un coin – des vêtements qui ne sont pas les vêtements, mais qui vêtent néanmoins et couvrent, dans ce monde sans surveillance des corps, dans ce monde où il faut sortir couvert – se couvrir : éprouvant, laborieux – dépareillage de haillons mités avec macules et odeurs corporelles : c’est à cela qu’il faut se résoudre – tout en gardant l’oeil sur les deux sacs, sac à main, sac de l’appareil photo, qui semblent changer de place, sautiller sans arrêt comme des enfants – pensée d’enfants – soudain – laissés à la maison – ici, à la piscine – au bord du bassin – souci des enfants, en plus des sacs – remonter au bord du bassin avec les sacs chercher les enfants – et maintenant, toujours et à nouveau, ce souci des enfants : il va falloir les compter, les recompter, avoir peur de les perdre, les chercher – dans ce monde sans surveillance d’enfants : les appeler, les rassembler avant qu’ils ne s’égaillent – disparaissent – même quand il est là, sous ses yeux, cette maladie toujours de chercher son enfant : cette maladie des mères – cette maladie d’être mère – reprendre les sacs, chercher les enfants – le coeur s’emballe, ne pas se perdre : ces escaliers, ces couloirs – ne pas glisser – glissade – genou douloureux, douche froide au passage du pédiluve : sacs trempés – l’appareil photo – ôter l’appareil photo du sac, l’essuyer soigneusement, vérifier qu’il n’a pas de mal – a-t-il du mal ? – le maître nageur ne sait pas : il n’y a pas d’enfants, actuellement, dans sa zone de surveillance – il faut revenir plus tard – ou chercher ailleurs : les douches, les vestiaires – il ne peut répondre que du monde qui relève de sa zone de surveillance : il n’y a pas d’enfants dans cette zone, pour l’instant – il n’y a plus de sac à main contre le mur, soudain – il n’y a plus que le sac de l’appareil photo – avec tout ce monde qui va et qui vient – mais où ? – tombé à l’eau ? – impossible, le maître nageur est formel : il n’y a pas d’enfants dans le bassin – pour les vestiaires et les douches, il faut demander à l’employé du vestiaire, ou à défaut, à l’homme d’entretien – avec les pansements, les barrettes à cheveux, les clés de maison – pensée de maison – enfants laissés seuls à la maison sans surveillance – dans ce monde de maisons qui brûlent les enfants, parfois, les défenestrent, les coupent, les étouffent, les séquestrent – sans le sac à main tout devient difficile : où chercher les enfants ? – qui le sait ce qu’un enfant devient sitôt que sa mère égare son sac à main – sitôt qu’elle s’égare dans des vêtements qui ne sont pas les siens – il n’y a pas de sac dans le bassin : le maître-nageur est formel : on l’a volé, c’est sûr, avec tout ce monde qui va et qui vient – pensée de monde – sans enfants, ni sac à main, ni rien – lézarder, s’allonger sur la serviette, se baigner – lire – pensée de livre, soudain – le livre dans le sac à main qu’il n’y a plus : disparu – avec les enfants à la maison, le miroir et le plan de la ville – pensée de ville, soudain, pour l’appareil photo – ce qu’il préfère c’est la ville il déteste l’eau – il est là dans son sac bien rangé si léger : si léger, pourquoi ? – il n’y a plus le chargeur, les objectifs le mode d’emploi le peigne, soudain – avec tout ce monde – le maître nageur est formel – d’ailleurs il est cassé – sans objet, déchargé, sans emploi – c’est l’eau, ça casse les appareils photo soudain et les maîtres nageurs à la longue – à bas bruit à petit feu qui le sait, ce que devient un homme, dans ce monde qui va et qui vient ne s’arrête pas pour lire prendre un bain enfanter chercher la mère égarée dans son sac à main et dans des vêtements des odeurs corporelles des livres qui ne sont pas les siens n’attend pas les mères, et même les violente les bouscule les pousse dans le bassin leurs enfants disparus pendus à leur sein pleurant dans leur dos accrochés à leur robe ce que devient un homme, dans ce bruit de mère qui perd les eaux – pensée de perdre, toujours – partir les perdre les sacs, les eaux les enfants la tête, au fond des bois qu’ils ne reviennent pas, dans ce vide des mains percées qui ne peuvent garder qui ne peuvent toucher qui ne peuvent soigner – pensée de monde sans tête – trop d’eau, de bassins, de maîtres – trop d’arêtes coupantes – trop de blancs glissants surexposés aux rayonnements – grands sols atomiques carrelés de mots fêlés, de balbutiements – de cris – de sacs volés, d’émiettement : que faire disparaître, qui pousse en avant les enfants à leur perte dans la rue ou par les fenêtres, à l’eau, bouclés dans le sac des mères pour y être noyés ? – le maître nageur est formel : pas d’enfant dans les zones de tir aucune exception tolérée ça mitraille encore dans les vestiaires – chercher les enfants, l’appareil photo – sans argent, ni plan – ni sacs – ni dieu ni maître – cela demande l’éternité – seule enfin – sans mouchoir ni barrettes – nue sous la douche brûlante


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 13 juin 2011
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