marché par le socle

« Terre creusée des sons. Des souffles éphémères. Mobiles.Terre nouvelle à son début. A son devis naissant. Flottant. Terre la ronde la défaite. La désolée des sons. Des signes orphelins. A venir. » Mikaël Hauchamp


prolonger par un nouveau texte : un geste qui entaille

ce fait que l’on marche – que l’on soit marché par lui, le socle solide, le terrien

lui qui avance, creusant tête de grand silence, avec sa pierre aux mains serrées, avec sa terre – avec sur son tirant la pente, la substance de l’abrupt, un tranchant vide, qui ébarbe la pensée, la laisse nette, fin tracé compact

marché par le socle, qui t’avance au lieu de plus grande clarté, où le temps s’évase, se perd dans une adhérence au monde rudimentaire, illimitée – et ton visage est avalé par la lumière

marché par le socle, à coups de caresses brutes, implacables – ton corps résolu dans le rythme – battements, contretemps, écarts, glissés – qu’imprime à ton pied cette peau d’écailles, qui respire, se plisse et se rétracte, enfle, se troue – qui parle prose forte, comme mer empierrée d’incompris, un absolument autre qui fuit, lessivant au passage l’opacité de ton corps, qui n’est plus qu’un souffle rauque que le calcaire aspire

pousse ton corps, l’avance – soudain le lâche, l’abandonne à son vertige, à son roulis – puis le retient, l’étreint, l’embrasse – comme d’amour pour toi, de pitié pour ta faiblesse

et tu sais que tu avances, porté, baigné par cette force terrible, où tu es admis, qui tolère à cet instant ton infinie légèreté – et qui va lente, là, sereine, et pour combien de temps

partout, hauteur du vent menant l’échange sonore : l’obole de craie tinte dans la bouche d’argent, à deux pas lourds, épuisés de la crête, où lampe est renversée sans un mot de deuil – car l’adieu privé de tombe, et ses lèvres chargées de baisers, ses mains de paupières à coudre, est resté dans le ciel : on le voit courant les passées noires, obliquement des oiseaux : il interroge la pierre, qui ne répond pas, solitaire attablée dans ce dénuement extrême, ce que tu nommes son bleu, ce que tu dis le bleu de la pierre, ce qui tremble dans ta voix ce qui désespère, quand tu dis « bleu » en parlant de la pierre – ce qui rassemble d’elle ce que tu n’en vois pas

âpre, sec, brûle ce flanc rapace où midi fait son plein de mouches, de tôles retordues, de ronces coulées dans la carlingue ouverte, terne, écorchée sous une lèpre de lichens – thym ras lavande maigre, crevant des haillons d’empennage, glissés sous l’hélice rompue, les trains éclatés, les fortes gerbes de genêts liées par des cordages de fer – et ces lames d’aile crépitant de grillons dans leurs nids d’épines dures, parmi les rivets, les serpents de caoutchouc crevassé, les boulons noués aux buis, aux crocus rouges

la rouille goutte, taraude dans ses fissures le blanc poudreux de la roche qui appelle, regroupe ses têtes rêches au conseil des anciens, seul désormais gardien du fracas de la guerre, clos ici, dans l’herbe très pauvre et l’oubli, le temps effondré alentour et le vent qui frappe clair, métallique – le vent – éternellement sourd à la plainte, sous le linceul de chaleur, de l’avion en son épave au ravin, à deux pas de la crête

et tu peux rester là, dans le désordre de fer – ces mains de fer comme pour des prières – à regarder ces larges fentes, qui ouvrent en deux la pierre usée, et que la respiration des racines agrandit dans le noir – tu peux rester là, dans ton souffle qui s’apaise – la mort t’accompagne, calme, mêlée à l’air, au bleu des pierres – sans mot, sans geste, tout près de toi, au soleil – l’un et l’autre, sur le socle qui repose, le terrien


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 9 août 2011
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