les îles

l’île est abîmée en elle-même, moins à cause de la mer que du mystère du mot


prolonger par un nouveau texte : Heure au marteau, à mer basse

le fleuve attaque, retranché dans ma tête depuis l’avènement des mots neufs qui mit ma plume hors la loi, là-bas, quand pénètre la mer par les îles, quatorze mille, Fjäderholmarna les îles des plumes : voyez le béton tagué de l’usine des eaux, noir et rouge, et le navire, un vaisseau royal un bâtiment de guerre, c’est ici qu’il fit naufrage, il n’aimait rien, ni la Baltique ni les hommes alors il chavira, il coula entre quatre et cinq heures à Beckholmen, un dix août par beau temps, lorsque le vent durcit on le vit se coucher sur le flanc et l’eau entra par les sabords, voiles et pavillon dehors, tout neuf, cent cinquante hommes d’équipage, trois ans de chantier naval et soixante-quatre canons de gros calibre, mille trois cent mètres carrés de voilure, mille chênes pour la coque et de la quille au grand mât cinquante-trois mètres, cinq mètres de tirant d’eau et trois centaines de sculptures, toutes peintes et dorées, et quand il prit la mer pour la première fois il sombra, à deux encablures du port il sombra là tout soudain avec armes et bagages, avec bêtes et gens le fleuron de la marine, il n’aimait rien il ne voulait pas être, il ne m’a pas gardé du temple et ses idoles ni des fruits blets que l’été proposait à ma soif cette année-là, il ne fut pas dans mon exil le fier coursier que l’on mène, à vingt ans, parmi l’euphorbe et le pavot jusqu’aux source du Scamandre, pour moi, Hélène était perdue qui riait de ma trop grande jeunesse, et lui le savait, il dort sous le pont Wilson quand je regarde vers Östermalm, et que les cloches de Saint Gatien vont pêchant sa plainte par trente mètres de fond, à Beckholmen, où le jour meurt en plein jour sans crier gare, pauvres de nous rôdeurs d’eau douce, de l’île Aucard à l’île Simon par le pont suspendu, les Shetlands quand même, Saint Magnus Bay tu te rappelles, ça vous avait une de ces gueules, cette tristesse de lichen, cet écorché de la terre jusqu’à ses nerfs, jusqu’à sa moelle, jusqu’au sans fond de la fente du monde, ouverte toute nue à l’embouchure de la Yell, quand elle vous admettait à ses messes si tard sur l’Atlantique Nord, quand jetés dans ce brouillard glacé les filets vous ramènent l’enfer quatre-vingt-dix ans de suite, dont deux cent vingt que je n’ai pas passés, moi, sur les plages de Papeete comme Stevenson l’écrit mais debout, là, par- dessus l’abîme de Loire qui fait le lit d’un temps dans ses remous et ses galets qui est sourd, sans joie, bouclé dans son creux de vague comme disait l’ami du Farallone, hé Robert, où es- tu, toi ?
pas un ciel comme ce ciel de lancer de cendres quai de Portillon, ici, cette chape de bure que Loire tricote et détricote du fond de son ouvroir à noyés, mais un ciel de strass, Fjäderholmarna les îles des plumes, à même le trottoir dans le halo des réverbères, en haut d’une cuisse de femme si vous voyez avec vos mains ce que j’ai vu avec les miennes, le duvet de soie sur son nid d’étoiles déjà mouillé par une peur obscure, l’été, au plus fort de nuits qui n’en sont pas, à Vaxholm, pas de nuit l’été mais un voile sur les prunelles, un crépuscule figé dans un ciel presque clair, impuissant, trouble comme une eau de mare après la pluie et allez donc rêver, dormir, moi j’attendais que ça se passe à Vaxholm dans la maison de bois rouge, pas d’arbres, pas d’ombre mais l’herbe rase, les rochers blancs et le vent de la Baltique, et quelque part dans l’île entre Visby et Ljugarn : Roma, ne cherchez pas de vasques ou de palais, dans mon souvenir on ne voit que du feu et ce visage dans le coeur des gouttes de sueur et voyez-vous ce visage d’eau, que l’on redoute tant, plus tard, quand on se penche et qu’il monte de Loire, de ce fatras d’années perdues battant les piles du Pont Wilson et qu’il vous regarde, c’est ici qu’il fit naufrage à peine né je ne sais pas enfermer dans mes mains je n’ai jamais abrité de port et les ciels là-bas, quand la nuit les pliait en hiver à trois heures, embarcadère de Strandvägen, si vous saviez comme je les aimais dans la charpie des nuages, réduits à des lueurs rouges et le miracle toujours qui se renouvelait, soudain la nuit qui tranchait, emplissait les corps les îles et la ville tombait, il n’y avait plus de ciel c’était noir, c’était la nuit le froid l’exil brutal et c’était beau, c’était violent, la nuit comme ça filant violemment sur son erre


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 novembre 2011
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