fragment

« les fragments sont l’expression d’une recherche expérimentale toujours recommencée, en vue d’une totalité qu’il s’agit de reconstruire pas à pas »
Friedrich Schlegel


prolonger par un nouveau texte : Nuit, avec sa voix

harmoniques secrets dans la masse de l’instant : le bout de la baie, la course d’un ballon – les ombres – l’exil nommé dans un sabir intense, sa doléance d’osselet, au fond d’une poche – vagabond du mi-dire sous le couvert des notes : on parcourt sans bouger, affranchi de soi-même : un peu de vent se lève à la surface de l’intime : l’eau se ride, le sablier s’affole et son bruit de rouille est régulier comme une habitude prise – un clapotis contre la pensée, ou la fatigue des feuilles : en gloire le mot « été », isolé dans un vide splendide, loin de sa petite mer et son domaine d’encre, son pic étoilé, sa bannière de cris sous le ventre atlantique, pacifique entrée d’un sommeil-rébus avec ses berges, ses balançoires – le profil simple de l’enfance, là, qui s’ébroue dans son obscurité radieuse, afin que l’irréel, sur l’arase du muret, joue les noctambules de midi – et cet agoraphobe état de froid, d’un ponton à l’autre, ces ruines violentes à l’entrée des phrases : India Parc d’une dérive, à ce point de la côte, un blanc méticuleux crevant la page, liasse de plomb et de souche à la mort ambiante, éparpillée dans les dix doigts – pilotis mangés de sel, éoliennes et tankers sur la défensive : bancs migratoires et leurs lisses de guingois où s’échoue la main : toujours à la cime, un pépiement de solitude nue, si commun, si clair – le corps au dénombrement, à l’épluchage, lieu hanté de matériel sonore, mais déshabillé de voix – le bois épais du mot « voyage », ses hublots de fortune, ses verrous : aimer suivre du doigt, les copeaux courant les failles – du haut d’un fagot de glace, la palette tombée avec ses degrés de gouffre, sans bruit : la pelouse qui jaunit, la brume de chaleur transgressant le contour des choses, jusqu’au chêne porté beau, dans un ciel sans tremblement – le jour passe dans la distance, l’immobile : raffineries noires, en saillie sur le soleil fixe, parfum roulant des hanches, dans un lit d’herbe et de mains d’homme : un rire sonne sans adresse, expropriant le coeur de la terre, du vivant, du souffle des bêtes – les mots nets, foudroyants, de la langue mal apprise : pulsion de retrait : reculs, sections, angles rentrants : l’évitement est ce brouillon illisible, où la vie tout ouverte se protège, se désoeuvre – la nuit sera lourde, américaine compactée dans le bleu cubique, le rouge franc de grands ports exilés sur le flanc des collines : pauvres de mémoire, et sans arrière-pensées – il y a cette vaillance, dans le champ passionnel où navigue le fragment : toujours repousser les limites de l’inachèvement : les notes ont la valeur de ce pain que l’on jette aux oiseaux – quelque chose s’accomplit dans le parc imprécis, indifférent – un visage écarte un souvenir meurtrier, une silhouette récuse une douleur à venir, encalmine la mer dans un berceau de béton, puis passe son chemin, poursuit jusqu’au pont sur la voie expresse : il faudra penser à cet inventaire, construit de fragments, de décombres qui poussent


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 9 septembre 2015
merci aux 1170 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page