terre chaude, terre froide

« je voudrais 
que le matin ne me regarde plus avec son couteau »
Claude Esteban


prolonger par un nouveau texte : Statuaire de la ruine

terre chaude, terre froide, la fable couvre les pas jusqu’à l’eau des vitres, gris papier, incisée, dure de sa nudité nouvelle : roman de pluies fines et transferts par les marges, les joints broyés, les embrasures, les bâtonnets réfractaires à toute écriture et le courant sans fil, l’eau et ses angles - mica, incidences, feuillets, fragments - ruisselant sous le rideau qui respire : les figures, où restent les trous, l’accident limpide, isolé

occupation du sol par osmose, succion des sèves et souvenirs, profondeur fluant, aérienne, le soir, le long des bâcles tombées des battants obsolètes, tout l’inondable du corps en flottement progressif, mains jointes à mon feu d’argile : les engelures de saison et les heurts sourds, entre elles, de formes incompatibles, et l’éclair qui les résoud : passages brefs, pivots à double, multiples faces, mot ou trace, ou mouvement, esquille, élément simple appelant le cernage, le serrage à vif sur les blancs cassés, limites, comme l’ombre dégradée du rythme sur un trottoir mouillé : quand le pas, parfois, supporte tout le poids de la vie

mutation à ciel ouvert dans la continuité des jours, jour après jour la vie, en suspension sur la langue : pour un construire à demi nocturne, à demi futur, déjà vestige, fiction pauvrement innervée puis soudain place nette, et si ça n’est pas fait on va vivre, puisque c’est dit : la piste est fatiguée, broussailleuse, elle va s’essoufflant en ressauts, agrégats et vertiges, îles nées, disparues, simples silences quadrillés par la marche

reste, aux bifurcations, la pierre : support fidèle, attentif, que l’on aime à voir telle, sans fond ni vérité, ni perspective : on s’y adosse, l’histoire vraie, longue déjà, surplombe la chute qui vient sans âme comme un autre soi-même : étrangère toujours, sidérante, banale, avec le vent et l’écho, ses paysages défilant et ses couvées autour qui bruissent encore dans l’air

mais les doigts s’incurvent, raides, griffent la terre désormais : la narration restée vide comme un rêve, il faut quotidiennement l’astreindre, la ployer, chercher le lieu de l’ancre, du couchant, des pierrailles éternelles, et remplir ces mêmes tâches à goût de pain, répétées, joies ténues le temps qu’elles nous portent, dans cet automne encastré entre gel et eau, sur l’appui menacé des fenêtres

nous savons tout, et la maison est sûre : les lieux où et les quand, les comptes, les généalogies, les répliques, mais les couches écloses cette nuit, en amont des grèves, laminaires et fourbes, sans borne, non élucidées, nous appellent : nous irons lorsque le bol brûlant, entre nos mains, aura tiédi, et que nous l’aurons bu – nous irons sans nous presser


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 16 octobre 2018
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