Aride par grand froid

l’ailleurs
je ne l’ai pas cherché ailleurs
je me suis rapproché pour que le lointain dépose
(André du Bouchet)


prolonger par un nouveau texte : Puis-je donc mourir, moi cristal ?

….car l’écrire, tout d’abord déroulé sur une éminence aride, par grand froid, lettres et vocables mêlés, sans fonction assignée, ni direction, ni lieu d’être, leurs couleurs plus ou moins déteignant les unes sur les autres et sonnant, consonnant au hasard des chocs, des bougés imprimés par le vent – l’écrire, tout entier agité dans ces fragments de lui-même, rétractiles, placentaires, spongieux, lui que nul n’invite à prendre place dans le monde, que nul ne désire ni ne cherche dans le monde, que nul n’appelle - que le monde n’attend pas car le monde n’attend rien, il dort, il est posé sur le socle terrestre et l’on vient devant sa face, afin qu’à l’adorer nous soyons, dans l’inquiétude, dans la jubilation, ordonnés visages, enfin, corps humains alourdis de traits et chevillés à la terre ..

….le monde où toutes les correspondances se joignent et se pénètrent comme cela doit se faire, en vu d’ériger les hautes structures qui occupent déjà à l’état de plans tout les champs du possible – le monde n’attend pas l’écrire, ne l’entend ni ne le voit car rien ne filtre, ne parvient de l’éminence aride, où claque au vent l’écrire - car l’écrire est indifférencié des bruits de bouche, pour celui qui le nourrit d’inquiétude, au coeur même de sa faim - la faim d’avant le corps, la grande rage aveugle des origines, celle qui se déchaîne sur l’éminence aride par grand froid, grand silence autour de l’écrire – indifférencié pour qui le porte, dans l’inquiétude, d’une nausée, d’un vertige, d’un glissement de lumière sous l’horizon par les bords, les lignes de fuites, les rigoles de pluie, indifférencié d’une migraine qui s’annonce

…travaillent des forces, sur l’écrire en ses organes, son corps divisé, à greffer au tronc commun des ramifications perdues, à recoudre des tissus, à pulser du souffle, à rassembler la même figure en un reflet unique – qui pourra dire des forces, quel maître les déclenche, à quel feu et pourquoi – alors que sur l’éminence aride, l’écrire qui jamais ne demande, à qui rien jamais n’est demandé, se suffit à être lui – l’écrire au vent, endormi dans le monde – sans commencement ni fin, sans partage - libre, avec ses bruits de couleurs et ses mots hors de langue – alors,

quel maître, à quel feu, enflamme l’écrire, le fait passage, seuil incessant qui s’ouvre et se ferme, s’avance, limite repoussée qui va s’élargissant, balancement sur le bord, retombée, geste qui prend – glissé derrière les objets pour ramener les choses – immatériellement, la mesure du monde

la mesure du monde : non l’invisible, non le tu, le caché, mais le monde éployé, sans méfiance, tel qu’il est dans sa grandeur vraie, quand l’oeil humain ne le regarde pas – seul le geste de l’artiste – seul l’écrire, et seulement s’il vient par le feu, à l’écrit


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 septembre 2009
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