Ouessant

Je n’entends pas le ciel comme élément distinct, le ciel est partout. Quand je dis ciel, je pense toujours lumière, je parle de la lumière. Il serait où le ciel, elle serait où, la terre ? Sur ce chemin on n’en a jamais fini, le ciel est abîmé dans une flaque.
Tal Coat


prolonger par un nouveau texte : Aride par grand froid

mortes-eaux, dans la pierre

à midi la pesée des mers, avec leurs grains, leurs semences

ombre rapide affûte le granit, silence penche vers le trou d’eau claire – avec ses rides, ses pensées

nous absente le paysage, en ces lieux d’être pour le chant : un trou d’eau, un éboulis, un chaos, la mer – régions instables, éphémères – comme en l’oiseau l’essor, les ailes qui s’ouvrent, le cri bref : son chant, cette marche rapide, légère, sur les eaux – le chant - tel qu’il advient à l’homme, à celui qui met son pas, dans le pas irréel de l’oiseau

grand S noir, son trou d’eau claire – tend le cou vers le ciel – s’immobilise – vase du vide, lisse, attentif – en ses plumes le marbre, coulé

terre sans terre – taillée de cris – déshabillée – au plus près de l’os, de la corde – puissants la vérité du vent, l’orgueil de la désolation – comme une écriture à blanc, où ne parle qu’un bruit de grattage : la lumière y saigne la langue

matière mer d’où la roche s’extrait, une à une : membra disjecta du monde, son corps dévasté

accore, loin obstinément : la chose minérale, indifférente, se refuse – c’est dans le saisissement, le souffle coupé, l’irréductible discontinuité de la trace, à nos pieds de vertige, de glissement, de chute, que brûle aussitôt apparue, l’image – le plus haut, l’inoubliable – le perdu, aussitôt – c’est avec cette cendre, ces restes, ce détruit, qu’alors le poème fait, qu’il a à faire

comme un vacarme des fonds, tenace, infatigable, comme les eaux violentes : le poème – tous deux paroles de l’informe, de l’usure, de l’émiettement – vents fous sont les pages de l’île

croyez qu’elle bouge, repousse, consolide l’écart – d’elle aux rails, aux passes, aux horizons, aux corps – n’approche que le mot le plus seul, de la plus détruite des langues – ce déchiré du poème, d’écueil en écueil – dentelles de deuil, sur les puits d’enfer : par droit de bris, à qui les prend, avec mon âme, mon bateau des morts, qui s’ alourdit

dans la bruyère, un agneau bêle, un muret se défait – un récif monte comme une prière, avec le vent – familier, l’inconnaissable est partout – libre, à portée de main – ici, table ronde, pierre sacrée : en lumière, le semis de coquilles, le festin, la nacre

tendons de sel, articulations de souffrance, corps plié – l’île broie de l’homme, de l’arbre – elle va, lancée vers l’originaire nudité, l’originaire vide que seuls les vents éclairent : ni phares, ni balises, où l’île va

ciel paisible, fureur du gouffre : le tonnerre écume – au roc, arrachés sa substance, son règne, puis son souvenir : accidenté à son image, attaqué, mortel, quel écrire là, dans le vacarme des pleureuses ? – seul, le poème – hors de sens, donne reconnaissance – la résistance du poème : animale, enragée, brisée, toujours reconstruite – dans l’invisible – comme la mer à midi, dans le trou d’eau claire : éternité petite, sur sa fin

 

« Le géologique est bien ce matériau imaginaire d’un temps hors le temps de la mémoire : il porte l’écriture sans effacement, sinon celui de l’oubli négligent ou effrayé des hommes. »

Pierre Fédida

 

« Le primitif vient au-devant telle une frontalité obscure absorbant toute la vue. »
Pierre Fédida

 

« du haut du déchirement qui les mine, ils voient très loin et de toutes parts »
Yves Bonnefoy


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 26 août 2010
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