Insomnieuse nuit

Christian Gabrielle Guez Ricord
« Tout est fait pour être habité, pour être l’abri de la vie humaine, même la mort »


prolonger par un nouveau texte : ce vertige

Carnet 1


Et l’aile haute alors, comme d’une victoire ailée qui se consume sur elle-même, emmêlant à sa flamme la double image de la voile et du glaive, l’oiseau, qui n’est plus qu’âme et déchirement d’âme, descend, dans une vibration de faux, se confondre à l’objet de sa prise.
Saint John Perse

 

Carnet 2


Il faut savoir se faire nuit pour éprouver l’étoilement du ciel intérieur
C.G. Guez Ricord

J’entre dans la nuit car si le merveilleux m’éclaire, il me laisse pénétrer l’ombre, il m’aveugle.
C.G. Guez Ricord

Il faut avoir connu ce monde pacifique – maintenant à cause des médicaments tranquillisants – des fous. Ces errants d’une impossible vie. Des êtres fixés dans la terreur intérieure, et qui ne parlaient plus. Qui marchaient comptant les pas qui leur restaient à parcourir avant que l’infirmier éteigne les lumières dans l’asile et que les monstres puissent naître sur les murs livides.
Et j’imagine que savoir absolument la vérité absolue c’est vivre (possédé) en fou.
Le privilège du poète c’est de choisir son au-delà.
Les asiles, où l’on guérit de la maladie de vouloir vivre.
C.G. Guez Ricord

La folie, je ne l’avais jusqu’alors jamais affrontée, j’avais seulement vécu avec. L’affronter ce serait tout d’abord la nommer, c’est à dire la délimiter, et j’entrevoyais cela comme salutaire. Affronter la folie, c’était apprendre à la refuser, et avec elle la grâce elle-même, puisque cette dernière l’avait toujours fidèlement accompagnée.
C.G. Guez Ricord

Je crevais les yeux au réel, littéralement. Tous les plus beaux visages qui soient défilaient devant moi dans l’azur inconnu... Ah cette vie mentale, j’ai payé pour ce spectacle dont je mourrai peut-être et sans le regretter.
C.G. Guez Ricord

C’est à ma mort que j’écrivais dans mes poèmes
C.G. Guez Ricord

Mon identité civile parle, se défend, oppose et justifie, et non pas mon identité poétique qui elle n’a pas à répondre d’elle-même et encore plus à un médecin. Elle fait signe, c’est tout.
C.G. Guez Ricord

Insomnieuse nuit où je m’exerce au voyage de mort, parfois le refaisant
C.G. Guez Ricord

 

Carnet 3


Ecrire est comme la sécrétion des résines, non pas acte, mais lente formation naturelle. Mousse, humidité, argile, limon, phénomènes du fond, et non pas du sommeil ou des songes, mais des boues obscures où fermentent les figures des songes. Ecrire, ce n’est pas faire, mais se loger, être là.
Miguel Angel Valente

Notre vie entière, perdue dans l’éternité, se réduit à ce tranchant aigu, à cette finesse filiforme, à ce trait imperceptible : elle est un tout enfin qui se réduit à rien, et elle est donc Presque-rien. Aussi est-elle passionnante et infiniment précieuse.
Jankélévitch

Rothko, Jaune untitled

C’était seulement l’extase ; l’art est extatique ou il n’est rien.
Rothko

Et les épaules qui tombent
Sont relevées par la tendresse
Mandelstam

Et n’avons-nous pas le devoir, ou au moins le droit, d’écouter en nous cette très profonde, irrésistible nostalgie, comme si vraiment elle disait quelque chose d’important et de vrai ? Est-il plus juste de ne croire qu’à l’ossement, à la ruine ?
Philippe Jaccottet

 

Carnet 4


cette âme qu’on a beau nier, perçante, guetteuse, inquiète, tournant dans sa cage comme dans une lanterne dans la nuit sans port ni matière ni entendement
Beckett

Braque, Deux oiseaux sur fond bleu

Le tableau est fini quand il a effacé l’idée.
Braque

 

Carnet 5


Je suis stigmatisé par une mort pressante où la mort véritable est pour moi sans terreur.
Artaud

Nous sommes quelques uns à cette époque à avoir voulu attenter aux choses, créer en nous des espaces à la vie, des espaces qui n’étaient pas et ne semblaient pas devoir trouver place dans l’espace.
Artaud

Moi poète j’entends des voix qui ne sont plus du monde des idées.
Car là où je suis il n’y a plus à penser.
Artaud

et je n’ai jamais écrit que pour dire que je n’avais jamais rien fait, ne pouvais rien faire, et que faisant quelque chose je ne faisais rien. Toute mon oeuvre a été bâtie et ne pourra l’être que sur ce néant, sur ce carnage, cette mêlée de feux éteints, de cristaux et de tueries, on ne fait rien, on ne dit rien, mais on souffre, on désespère et on se bat, oui je crois qu’en réalité on se bat.
appréciera-t-on, jugera-t-on, justifiera-t-on le combat ? non
le dénommera-t-on ? non plus
nommer la bataille c’est tuer le néant, peut-être. Mais surtout arrêter la vie
on n’arrêtera jamais la vie
Artaud

Comment la langue peut-elle onduler à l’infini et se ressourcer sans cesse à elle-même, alors qu’elle puise l’intégralité de son sens dans une blessure toujours ouverte qui la traverse d’un bout à l’autre, selon toutes les dimensions de ses possibilités de lexique et de grammaire ?
Claude Louis-Combet

La préoccupation première et dernière des grands peintres chinois est l’articulation du souffle à travers les blancs.
Henri Maldiney

Là où Kafka se sent détruit jusqu’au fond, naît la profondeur qui substitue à la destruction la possibilité de la création la plus grande.
Maurice Blanchot

 

Carnet six


La rouille s’est posée sur ma langue comme la saveur / d’une disparition.

L’oubli est entré dans ma langue et je n’ai eu d’autre
/ conduite que l’oubli,

et je n’ai accepté d’autre valeur que l’impuissance.

Comme un bateau calcifié dans un corps d’où la mer / s’est retirée,

j’ai écouté la reddition de mes os s’établissant dans le repos ;

j’ai écouté la fuite des insectes, la rétraction de l’ombre
pénétrant ce qui restait de moi ;

j’ai écouté jusqu’à ce que la vérité eût cessé d’exister
dans l’espace et dans mon esprit,

et je n’ai pu endurer la perfection du silence
Antonio Gamoneda

C’est comme si le poète n’avait pas de paupières
Hoffmannstahl

Antonio Gamoneda, photo © Eloisa Otero


© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 19 décembre 2010
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