ça autour, la montagne

« Si étrange que cela puisse sonner, exister, c’est se tenir à l’intérieur du hors. »
Heidegger


prolonger par un nouveau texte : Loire mise au point, cliché doux

la montagne avance lente, aussi le rêveur de bleu

fleurs sèches, pétales transparents, craquants comme des élytres – bourdonnant midi, trompe de fer – un plissé de faille, deux ourlets cassés : la montagne est solitaire, elle ne partage pas – ce qui griffe de rêche, dans le crin de son échine, d’épineux, pénètre la peau du marcheur, et ruisselets rouges, écorchures transpirent, insignes parures du corps fourbu

on se voit plein ciel, entier – seul, et non clairsemé – bien avec ça autour, la montagne – séjour confiant parmi les pierres – à l’intérieur ça ne sert à rien, tout tombe : ça ne parle pas

léger, métallique, le bleu se tient sur la crête, fine feuille d’arête claire, où l’écho repose – le pas du rêveur l’éveille, le bleu fuit au bougé, au plus petit bruit

ombre sur la paroi : rapaces – foudres ennemies se défiant l’une l’autre, du cri, à travers le givre largement déchiré de leur solitude jalouse

au ras des mousses brûlées, vire soudain le vent, chasse : mouvement de pierres, pierraille – la montagne accourt, se porte à l’assaut de la tête : vent d’intervalle – siffle dans l’éponge rouge, le crânien désemboîté, matière à trous – à l’intérieur, ça ne sert à rien, tout tombe – silence est un sifflement de lumière, un point, flammes passées dans une aiguillée de calcaire – mouroir des mots fait contrepoids au vide, couloir sifflé par le vent – grand soulagement d’intime, tout ça fuit dégorgé, apeuré – tête déserte, lumière s’engouffre

enfin suis de moi le marcheur, reçu là, dénudé jusqu’au blanc, squelette poreux de mes attaches – ont tranché de la terre, les cisailles des crêtes, ce qui fait poids : ainsi la chair dans sa vêture de mensonge, son espace visagé au centre, dévasté par la dynamique désirante, folle, emballée, ainsi la mémoire, sa charge de coagulations, de plissements, de sédimentations autour des paysages, signant par là même, définitive, leur perte de figure – l’os lui ne ment pas, il mathématise comme la roche, il est sec, c’est un os simple – en quelques pierres et fragments, il formule la montagne, pas de signe pour lui plus important que le chiffre

la montagne est géométrie : mesure de la terre – dalles lisses, perpendiculaires, plantées : comme alignées au cordeau – pavage, tuilage sous rupture de pente, grande aire polygone, section fine – l’épure, tous les angles étant morts, os la rapporte, peut simplement l’abaisser pour la régler sur l’infini : la montagne est une forme qui a trouvé son issue – elle ne se détache que sur le ciel – qu’elle fracture et trie – orchestre, affine en grandes obliques, pourfend : il n’y a pas d’inquiétude des formes – il n’y a que le temps – on le voit blanchir, mâcher, ruminer – faire poussière – dans l’aveuglante méditation des pierres

suis de moi enfin, le vrai marcheur posé, sur le surplomb – délivré d’elle, la mienne quémandeuse, la divisée – en elle, trop de mots la séparent de tout – intarissable agrippée à sa demande, elle, comme parler, répondre, être là, étreindre : toujours dans ce qui bouge le coin aigu de ses paroles – délivré d’elle : à l’intérieur ça ne sert à rien, tout tombe – ses peurs : on n’y peut rien – ses années, ses morts, ses souvenirs : ça n’en finit pas – délivré d’elle non menée à bien : ni sens ni assise, ni os, ni debout ni couchée, en plan – délivré d’elle rentrée dans ses trous de temps, futurs et passés, hors de vue

marcheur présent ici, dans le présent sans direction des pierres lamellées de silence : cristaux, poussières, horizon de pointements grenus, pépites égrisées, ternies, luisantes, tout mélange vibrant de tête, en pleine face, en surfusion – éclate la stridulation des insectes, la cristallisation lance, tisonne : bleu déchiré en deux, troupeau bêlant de comètes, leur coeur de glace, tissu de la chute, étiré, tendu au point butoir d’absolue transparence : marcheur est physique, géomorphologie offerte, à tous vents, de son corps minéral, léger, poreux, inhabité – il est chose de l’air et des fluides – chose du chardon, du genêt – chose des grillons, des mousses – chose oscillante suspendue sur le décrochement, sans point d’appui

et là plus qu’ailleurs, à porter le réel, le marcheur s’allège, toujours plus : intacte, la relation – le dehors – à l’intérieur, ça ne sert à rien – tout ayant été vidé
hier par les nuits, ici, reins de la terre ont soulevé le jeune monde, la mer – à la renverse, roulis dans les roches poussées par un nuage : la mer
essence violente, thym foulé dans les éboulis de chaleur

en tel lieu de la vie, si vieux

 


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 24 juillet 2011
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