je me défais de la charge

« Des jours entiers encore, bien sûr, à parcourir la ville en fuyant, haleine de plus en plus froide – tourner d’une rue à l’autre, d’une place à l’autre, en vain. Toutes les rues des impasses, toutes les maisons des murs clos, et le sol du sable à l’infini. » Danielle Collobert


prolonger par un nouveau texte : un soir

je me défais de la charge parfois de vivre : un instant je meurs – je ne sais pas si cela s’appelle du repos - c’est un point d’arrêt fortuit, réversible, quelque part dans la masse d’ombre dans l’après-coup, ça ne s’appelle pas, ça vient dans la fissure – j’accueille et j’endigue le temps, j’ouvre des regards et des portières, des sas, de vieux débarcadères où s’appuie la bouche, le visage d’hiver, chemin faisant – on a grand choix de sucs transis, chaux métalliques et téguments secs : les sillons ravinent l’augure, définitivement, d’une belle journée – mais on a des rails et des quais, une tranchée, un remblai de pierres, une échappée sans aigreur par la contre-voie, et là je suis tranquille, je meurs je marche, je consigne, on ne me voit pas

au hasard sans bruit, je m’abîme à côté de la vie d’un pas légèrement qui danse vers la zone incertaine : agitation retorse, essoufflement saisi dans la trempe du froid, je ne blesse personne, je ne suis pas là bien que je préfère, ou préfèrerais y être en dépit de moi, comme un poteau bien visible, qui donne prise au vent – ce qui suppure est sans alerte, c’est la maison fermée, le ciel doux, la petite monnaie dans la poche, une sente qui va : on dirait se promener, je le crois quand ça commence, je ne sais pas ce qui vient – juste là quelque chose bâtard, qui se décroche : nulle estompe formant belle entente, claire : les assises rompent mais je suis bien – pas plus qu’un accident de lumière, ces amortis réglés pour n’y voir rien : les premières feuilles tombées, la bifurcation vers le tunnel, l’accotement – jusqu’à part soi si vain, si troué, désir émoussé par transport, par roulage : trop grands éboulements, trop grands décollements – la nudité ne comble rien dans la passementerie usée des gestes, mais ce regard où sauter, juste entre deux abrupts : on oublie – le vide est graineux, mat : une intime discorde avec ses loups de tendresse, ses morts, ses revenants - on s’aventure en pleine douceur et le goût de terre, de pourriture, remue dans la veine un silex, une lame très fine, une somnambulique langue qui traîne : les mots sont sans rien dire, ni douleur, des contenus s’entrechoquent, puis coulent avec la perspective, passerelle ou viaduc, plaque tournante, gare de voyageurs

étonnement des mains vides, pauvreté du glanage : sous les déblais, l’éclat bleu d’un linteau, la porte est couchée dans ses jougs, l’entrave et ses partir ont ruiné le champ des forces, la nostalgie les regrets, on s’en détourne, simplement – petit pêle-mêle du monde amorçant des lueurs, des images : l’aube au lavoir sur la pierre à dormir, puis mise à sécher dans les hautes herbes, et le bras nu, le vent couché dans la chemise ouverte – crête onirique souple où j’annote à l’estime – c’est mourir petitement et en douce, ça vient dans la fissure, à l’oblique, ça prend de court – au-delà du pont, c’est le soir : manière heurtée, belle fonte de couleurs, tableau léger d’ouvrage – on y va car il fait bon, rien ne coûte – parfois jusqu’à des limites, où le souffle manque, l’instant semble durer, un peu trop : j’aime avec le vertige, porter le jeu au-delà des balises, des sémaphores et signaux d’arrêt – qu’un jour, revenir ne devienne insoluble : je n’y pense pas – je continue à regarder les trains, ou marcher sur la ligne de fuite, jusqu’au poste d’aiguillage, ou plus loin

 


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 15 septembre 2014
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