Londres

un jour – et c’est fini – le dégoût tu le prends comme un mur – océanique – personne ne sait – ni où, ni pourquoi


prolonger par un nouveau texte : naufragé des carnets

avancer masqué dans la nudité la plus vraie, au coeur d’une topographie urbaine ruinée par la multitude et la gravité de ses lésions internes, comme cet éclatement de la rate, visible et même très clair, coulant de source massivement pour qui marche sous un pont, à minuit, tenant ses tripes dans ses mains, roulées serrées dans un cornet à frites

pour lui, et pour lui seulement, marcheur épuisé suçant la fange d’un pas gris, parmi les yeux rouges des riverains accrocs aux encoignures de règne, où trafic d’organes sous la presse des flashes, rushes cramponnés aux épaules, et note bluesy très seule sur la lèvre enflée, élaborent dans un visible défait, qui n’appartient plus à personne, une poétique militante et soutenue de la putréfaction du vivant, audible dans les sonos des carcasses mécaniques, investies de rats jaloux de leurs marges deltaïques et de leurs rates éclatées sous la poussée de portées obèses

un son très triste à ces oreilles-là, très lourd, et comme infiltré néanmoins de ce qui fait la joie des têtes de mort reposant sur nos poitrines, quand il pleut entre les pierres, là sous le pont où la ville siffle, poumon perforé par une esquille d’os sniffée à même l’eau avec sa ligne d’âmes, emplumées et légères sur leur matelas de méthane, simples à petits coeurs sans racine ni sève, comme des manifestes blancs, éphémères collés au mur, exécuteurs passifs de leur propre supplice

épuisé le marcheur s’arrête, à la jonction du masque et de la vraie nudité, il récupère dans ses doigts les nouvelles du jour dont le sang contaminé infecte ses blessures : gravats, cendre et mitraille, encre et mâchefer pétrissent des nids où l’on vide les oisillons de leur futur, par les yeux, avant même leur premier cri

c’est le monde, dit le mort encrypté dans la pierre du pont, où j’ai tant demandé à naître en homme vivant, avec un vrai regard qui se voit dans le noir, avec des bras pour rassembler sous la même peau les enfants égarés de la famille humaine, et j’aurais nommé chacun par son nom de guerre, d’ancien, de camarade, tant il est vrai que sous la même lampe, à minuit, la douleur sur chaque visage jette la même ombre, j’aurais dit frère, repose-toi sur le silence, entre les plages où le disque se tait, quand ton masque tombe, habillant ta nudité d’une nouvelle langue, plus seule, plus incomprise que l’étoile au-dessus du pont, que d’ici nul n’a jamais pu voir

car tu as pris dans le prolongement de la nuit la route secrète, encaissée sous la voûte brute, entre toutes les routes celle qui ne parle pas, mais fait parler ses morts, comme moi clandestins, glissant de la pierre à la vie sans attache, ni défense ni réponse, marcheur épuisé accroupi, ses tripes dans ses mains, un courant d’air tournant les pages : mouture après mouture, à haute voix je lis les phrases, l’écho ébranle le pont, s’empare d’un homme, puis de deux, puis de trois, qui disparaissent dans le feu d’un couloir de bitume, où les accompagnent l’empire et la circulation du monde, un homme, trois hommes arrachés au temps, corps vrillés sur un réveil à peine concevable dans l’artificieuse pénombre des paroles du soubassement, et jusqu’aux fondations des piles, là, dans la nuit sexuée, résonnant de cette joie montée de plus bas que l’eau, durement négociée sous le pont, avec les forces de la terre, dans les larmes de pied en cap, distendue sur les arcs à pointes, harnachée de lettres à lanières de cuir et menottée au cadre du lit de souffrance, où se travaillent au corps, les abouchements et les traverses, les correspondances et les seuils, ce filet qui court d’égouts en étoiles, sous le manteau

et ce qui te revient c’est l’ouvrage, à poursuivre avec la chose dans le coin, l’immobile couchée, l’inoffensive, peut-être la mort mais de qui, de quoi, sage comme une image, une figure simple, un objet parmi d’autres, juste écrire avec elle dans le coin, tes tripes dans tes mains, rien ne peut plus t’interrompre, t’empêcher, ni personne

Extrait de En ces lieux, inédit


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 octobre 2009
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