
Par les chemins anéantis nous ne cessons d’aller
Paul Celan
trop loin ou trop près qui sait,
n’ayant pas vu ténue, oblique, l’ombre défaire dans l’herbe les petits cailloux blancs ce qui reste, épars, le tracé délavé peu lisible d’un chemin
c’est vrai qu’il fait noir maintenant ou presque dans les flaques les mares,
les boires lisses les bras morts,
les îles
des souvenirs ont vécu ou peut-être jamais,
rien n’est sûr
le soir,
quand le vent d’ouest s’engouffre par le fleuve,
une lassitude s’accroît légère tombe sur la lampe les saules les grèves aux terres enchevêtrées
dans la marche monotone,
sous-bois et lande rase
ciel,
lande rase et sous-bois,
retour
un seuil qui ne s’ouvre pas
un crépuscule interminable et chaque jour un peu plus haut une tourbe monte,
chancelante et sûre elle monte contre l’horizon proche où des barques des reflets s’attardent,
avant de disparaître
les mots s’isolent rien ne les trouble,
ils sont lents ou absents
ils rêvent,
ils allument un feu poussif dans les livres les brindilles les ronces,
puis tombent au silence,
ils s’écartent
dans les pierres
jusqu’au tarissement
ramasser ce qui traîne
mais le manque de souffle,
l’étroitesse de la poitrine
le poids des pensées,
jusqu’au banc
c’est l’hiver sans le froid sans l’espace brillant de perles d’agrafes de solitaires,
c’est un mur
et parfois il se couvre de fleurs elles meurent à peine écrites et leurs couleurs sont toujours
une fête secrète
fine buée dans l’hypnose des heures,
on joue des flocons sur la vitre,
à la pruine des doigts les deltas qui s’essoufflent,
les arabesques,
au commencement inséparable de l’immense nuit
ne plus rien savoir
hormis l’instant,
l’haleine du vide
et les lèvres
qui baisent le gel
qu’avons-nous fait du temps pour qu’il rancisse dans les tâches, dans l’assemblage au quotidien de cette tunique brûlante qui ne nous brûle plus : depuis quand sommes-nous cendre ?
n’ayant pas vu plonger le soleil nous parlions de choses et de riens, nous aimions les mots
quoi répondre aujourd’hui, que dire,
nos voix ne portent plus mais elles blessent l’air,
si doux pourtant et si compatissant,
et qui pour lui a transparence,
insouciance,
éternité
la peur
on la tourmente dans la poussière,
du bout d’un bâton distraitement comme un insecte dans lequel nous sommes prisonniers,
et peu à peu la peur nous quitte,
à y vivre depuis si longtemps
nous en connaissons les aîtres
on aime plus fort l’exode des oiseaux,
les nuages sur la mer en plein vent et l’odeur de la terre meuble,
on aime la touche
miséricordieuse
de lumière
sur la feuille du pommier,
on aime
plus que jamais le printemps
toujours des mots quelques-uns les simples,
les humbles,
s’enfoncent dans les buissons de neige,
cherchent-ils des baies,
en hiver,
ou cherchent-ils
la paix,
qu’on les oublie et qu’ils dorment là,
blottis,
dans la palpitation inachevable du monde
on les aime,
on les protège
pour avancer
1ère mise en ligne et dernière modification le 26 mars 2019
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