Figures du froid

entre l’une et l’autre rive, balbutie ce qui n’est pas encore pris par les glaces : une parole mourante, poétiquement sans prix, que traquent ces littératures hantées par les pays du Nord et leurs figures du froid


prolonger par un nouveau texte : des grands lacs

Monika je l’ai perdue en été, dans le détroit, au nord de l’archipel aux mille petites vies, le soir, au moment où la lumière s’assoit sur la terre, s’adosse à des troncs de bouleaux, seulement affaiblie pour quelques heures, quand les ombres, le vent les oiseaux, tout se tait dans le gris des feuilles

je m’étonnais toujours de ces arbres à demi déserts de ces rochers nus de cette pauvreté de l’horizon qui forçait le regard à inventer des images, des scansions colorées qui brisaient la tristesse des grandes grises, ces plaques de mer se recouvrant l’une l’autre à l’infini dans le dédale des îles

il y avait bien les saulaies maigres coupées de landes, je les fardais de rumex parmi les blancs de la renoncule, je coulais la Loire dans les prairies délaissées et leurs mares de boue, je coulais la Loire dans les tourbières, je plantais des noyers noirs, et sur la bruyère, je mettais à sécher des rideaux de vigne vierge, des lianes de douce-amère et de liseron, j’envoyais sur des boires dessinées dans l’air, une barque à fond plat d’où Monika et moi pêchions le nénuphar blanc, la menthe d’eau si parfumée, en laissant traîner nos doigts sur le fond de sable clair

voir entre les vagues à nouveau, chercher, trouver ce corps, ce visage inentamé par les années du fleuve, les fluctuations de ses grèves les entrées et sorties de ses eaux, de ses matières, les voyages, les érections de ses levées, les effondrements de ses terrasses et de tous les rêves entassés dans les cales, jour après jour inentamé visage, en sa totale lisibilité, sa matérialité solide nettement donnée là, pont Wilson huitième arche, ôter le foulard, les lunettes, voir le chenal libre, par-delà les forêts ivres et les lacs contournés, voir son front, son regard plus sombre, plus bleu, sitôt qu’il montait par-dessus les trembles, les dômes de marne à coeur de glace pure

je la cherche je la trouve, Monika, je la trouve et je la perds, je décroche les robes grises des nuits d’été à Vaxholm, je les secoue je les retourne, et des poches, des doublures défaites, pleuvent les miettes de sa voix sur les pierriers, à l’horizon de ces langues glaciaires, dans le sommeil sans paupières sous l’arche où la mer gèle, écoute ce moment de cristaux et de saumure, comme ça grince dans le souffle comme ça chauffe l’oubli sous la dent, comme ça saigne, cette gangrène sur la peau très vieille des rocs aux hautes latitudes, comme ça mord, déchire, et ces noms, ces noms, ces visages, qui jaillissent entre les packs, et roulent, brisent, désorganisent l’inertie du monde, le Norrland souvent, ça me remonte là, dans la grande salle sous le pont, au bord de la Loire quand il pleut


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 novembre 2009
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