Ce grand bleu-roux

La Montagne Sainte Victoire. Paul Cézanne
Toute la volonté du peintre doit être de silence
(Paul Cézanne)


prolonger par un nouveau texte : l’aiguille, dit la femme

dans « l’Art, l’Eclair de l’Être », Henri Maldiney évoque ce « grand bleu-roux » qui hantait Cézanne, ce grand bleu-roux qui lui « tombait dans l’âme », qui « flottait comme ailleurs, impossible à fixer »

 

à quoi ressemble le grand bleu-roux de celui qui écrit, qui le hante, le mien, quel ailleurs des mots impossible à fixer, quelle phrase, qui doit venir dans les carnets, de nuit ou non, avec fluidité sur la page claire, ou laborieusement sous les ratures, pour déverrouiller le présent, l’ouvrir non sur le futur et encore moins sur un livre, mais sur l’infini, sachant que le seul but de la poésie est : jamais de but, aucun, et y travailler, que ce soit une hantise, pas de but comme pas de bord, pas de pont, ni feu ni lieu ni flèche du temps, un grand bleu-roux, son grand bleu-roux qui fait du poète, l’habitant d’un vide très violent, éclairé parfois des lueurs que jette l’irrévélé très familier, très étranger, dont il jouxte les terres, et dont on ne voit que les falaises accores

au poète violence, et violence du poète, sa hantise, ce grand bleu-roux qui n’a pas de couleur, pas de mots qui lui ressemblent, pas de voix, ne doit rien aux livres, rien aux mathématiques de la langue, et si bref qu’on ne peut le fixer, pas même dans la mémoire, et réclame ici et maintenant, de toute urgence son écriture : que faire, brûler ce que le monde propose d’images, pour accéder à celle qui les contient toutes : une vision, effacer tous les bruits du monde, pour accéder au silence qui les contient tous, la nuit muette couvant les oeufs de l’orage, une vision qui ne représente pas, enveloppée dans un silence plein d’échos, comme une cathédrale

dans tous les cas se tourner vers le vide, le mur qui n’a pas de but

juste ce pouvoir de dire, pour le poète, qu’il voit la forme de l’indicible absolument vierge, bouger au coeur du dit, tout au bout d’un chemin qui ne finit pas, mais il ne sait ce qu’il dit, d’où il se tient il ne peut le savoir, il ouvre ; on voit la trace de son pas entre les lignes, dans les marges, les blancs, là ou le chant cherche le chant, où rien n ‘arrête, où il n’y a pas de but
l’apparition, la naissance des choses - qui seule préoccupe le poète – est anéantie par l’écriture, à l’instant où le poète pense l’écriture – celle qui habillera l’apparition – mais dans l’écriture, elle prend souffle qui l’élève du néant, ainsi elle apparaît/disparaît, toujours renouvelée, ailleurs et inconnaissable, imminente et déjà partie, telle une vague, laissant au sable des hommes sa marque, ce bleu, ce grand bleu-roux qui se tait

à moins qu’il ne s’agisse de ce jaune, cette « haute note jaune des tournesols », qui hantait Van Gogh


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 8 août 2009
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