Roi de verre

« Comme si, perdu corps et mots, chaque fois l’auteur du poème laissait la place à une mort singulièrement nette. » André du Bouchet.


prolonger par un nouveau texte : aller au mot

Dès l’ouverture,
plus froid semble l’air : linge de neige, ciel ouvert – des mots tendus vers la surface
c’est un livre pour la soif – en blanc – car blanc ne tient rien, n’est tenu par personne : livre des signets, des intercalaires, des transparents
écrits de fatigue : runes sur bois raturées,
à demi brûlées par le Roi de verre –
ses patenôtres le devancent à petits sauts de corde,
en colonne par trois
contre le vent –
ses cavaliers doublent le cap sans boussole, sans oriflamme,
sans usage des mots –
allant à dame sur les moraines, dormant debout,
perdus dans leurs masques d’ancêtres : c’est une armée comme là, dépêchée pour une dernière guerre,
inconnue – juste bredouillée par le Roi de verre

et ils traversent absents : gel des coeurs, vie comme bête morte, raidie – et le chant perd souffle, équilibre, aux altitudes qui l’emplissent de sang – étourdi de froid, il s’évanouit : il aime le froid, l’imputrescible

L’onglée ossifie, crevasse la ligne oblique, l’horizon :
le regard cloue le fou dans ses prières, en haut de la tour : la clarté enténèbre nos yeux fragiles – il n’y a plus de sang, jamais,
rien plus ne saigne,
ne pleure jamais,
et l’embâcle impose des figures noires,
à l’enfant tout petit
dans la congère du ventre –
alors la case chavire, les doigts ne déchiffrent plus,
ils pendent le long des hanches

D’os et de bure,
de cuir et de corde,
blanchis sous le harnois, nous sommes sans rêves :
joueurs de première force –
on ment,
et tutoyant nos lésions internes,
on affiche une parade aux rouages effondrés,
on triche –
se disant qu’un grain de sable
parfois
déchausse les dents du loup –
et de coup d’attente en coup d’attente,
l’inexpiable dans notre lit
prend ses habitudes –
on mâche, on ajourne –
on parcourt de la géométrie les grands ministères,
serrés dans le manteau en damier : le paysage est avant tout glacé, une formulation des confins – abstraite de la terre, et de tout corps solide –
le Roi de verre l’éprouve dans ses os : y retiennent leur souffle,
toutes ces étoiles fixes

À tête fendre, on est ce givre qui bleuit
les aubes trop vieilles : mémoire et ses trous, ses intrus,
ses permutations de parties,
ses frondaisons qui ruissellent –
on réveille une trace, elle n’a pas de contour –
on défige une empreinte, elle n’a pas de reflet –
ciel de fer
qui grésille,
essorille des chiens rompus à tous les hivers et maintenant couchés là,
célébrant la Polaire à son comble,
massive,
lourde de couteaux,
bouchant la vue sur toute mer,
toute parole dénouée dans son lit de questions, tout passage des couleurs dans la chambre claire,
et l’écho de leurs antiennes,
de leurs répons

L’échec est lisse,
retournant ce qui n’a pas d’envers,
il a grandi insouciant
dans un faux printemps de fresque

Le déblaiement est mat,
la poudreuse apure les comptes goutte à goutte,
donne quitus au roi pour la route –
c’est finir qui vient,
seul,
franchir une dernière fois
cette portée de cases qui s’allume,
avec des noms, des visages démontables et leur cire jaune,
creusée du pouce,
lissée de la paume,
avec amour

Dormir debout,
rejoindre à petites journées les cavaliers aux reins perclus :
Roi de verre,
enfin,
avec sur la langue,
ce bredouillis,
obole brûlante du voyage


LES MOTS-CLÉS :

© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 décembre 2011
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