Navire mémorable, avec îles

Lycée Nord Saint Exupéry, Marseille. Photo Gérard Bellon, merci : parenthèses comme deux paumes jointes, entre bateau et mer, mais qui de nous est parti ?


prolonger par un nouveau texte : parcelle basse creuse

 

du navire de guerre, sur la colline, j’ai gardé les coursives et les ponts et la proue qui glissait vers la mer dans l’immobilité légère, le déchirement des tranchants de béton, ce bruit de soie, cette élégance — quoi qu’il fût gréé et armé pour la guerre, celle qu’il nous menait, et que chaque jour nous lui retournions — cette majesté blanche, longiligne, que le vent souvent violent sur la colline faisait chanter comme un cristal dans les derniers étages

 

Chimène c’est Don Diègue qu’elle aime,

le ciel lui appartenait : autour il était immense, sans obstacle, l’été,

pas Rodrigue, c’est Don Diègue qu’elle aime,

la lumière nue pulvérisait le monde, et quand nous renversions la tête,

le maigre toujours pâle, au fond de la classe, le fiévreux au visage

le bâtiment tout entier s’envolait, nulle mer n’arrêtait ce vertige, et d’une

d’os qui va hautain les yeux très noirs, les

épaule l’autre, l’horizon était d’oiseaux, de nuages et d’air

cheveux qui volent, celui qui marche en colère

quotidiennement au voyage nous étions invités : par le sud qui nous faisait face,

à l’envers de la foule et distribue des tracts,

par les îles, par les bleus sonores, capricieux de la mer, par les mots qui

c’est celui-là qu’elle aime, mais comment lui dire

montaient des docks, empruntant des chemins de contrebande que nous

avant la fin du cours avant la fin du jour

connaissions, sycomore ou sumac, ébène ou citronnier, satiné d’Insulinde, le

avant la fin du monde, ces mots pour Rodrigue

voyage était à nos pieds, grand ouvert, ses vitrines éclairées montraient des

pourquoi, alors que lui Madame, Rodrigue, on l’aime pas, on

masques, des cartes, des nuits à écrire et parfois des amours inquiètes, des poètes

aime Don Diègue l’écorché le colère qui n’aime personne,

épuisés mesurant aux sables, leurs visions

ou peut-être si, qui m’aime, ne le dit pas,

mais la proue glissait vers la mer et ne l’atteignait pas ; nous avions beau

dira elle aime, Sire, nous unira à la fin de la

pousser de toutes nos forces, à tribord et bâbord, mâture, oeuvres vives et

scène, à la fin du cours, Rodrigue et Chimène,

oeuvres mortes, le bâtiment montrait la mer, ses figures ses routes, mais ne la

alors qu’elle Chimène, elle ne voit que Don Diègue,

donnait pas – qui de nous l’a compris ? – c’était difficile, bien plus qu’on ne le

elle et lui pour la nuit, pour la vie,

croyait, alors qu’elle était si proche, toujours offerte

dans les plis du drapeau noir

je ne l’ai pas revu, le navire

roulant serrés l’un contre l’autre,

si je ferme les yeux, les superstructures libres baignent dans un flux de voix et

Rodrigue Madame on n’en veut pas, que nous sont ces mots

les portes battent, les murs s’écartent, les rideaux flottent, bribes et débris

à dire où il ne faut pas, quand tant d’autres se pressent

s’agglomèrent, comme un fraisil, autour des saillants qu’affûte encore la douleur

avec leurs baisers, leur musique et leurs caresses

des appels, des questions restées sans réponse : qui aime qui, Michel Fanovar est

pour celui-là, Don Diègue et pas un autre,

mort, il n’avait que dix-sept ans, on fait quoi M’dam, quand on n’a plus envie,

l’ombrageux, le souffrant, le fier appelant les tempêtes,

de rien, de tout, on va où après on fait quoi de nous, Gabrielle Russier est morte,

et sa Chimène d’un regard, par-delà Rodrigue, Don Sanche et le roi,

elle n’avait que trente-deux ans, suis-je belle, l’existence humaine est-elle

que nous sont ces mots, cette cour, ces lois ?

politique, de part en part ?



© Michèle Dujardin
1ère mise en ligne et dernière modification le 21 juin 2009
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